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Vie et mort des sociétés de jeu vidéo (2/2)

Ecrit par Pierre-Antoine Favre le 16 octobre 2012 Aucun commentaire
Vie et mort des sociétés de jeu vidéo (2/2)

Première partie : Vie et mort des sociétés de jeu vidéo (1/2)

Après une année 2011 où les créations et défaillances de sociétés de jeu vidéo ont été nombreuses en France, complétons notre tour d’horizon du secteur et notre analyse de la situation.

6. Une immaturité de gestion :

La difficulté à saisir les spécificités de la production d’un jeu vidéo sur le plan économique renvoie aussi à une certaine immaturité. La faute aux acteurs de la filière, des créatifs et des programmeurs en majorité, absorbés par leur passion et très éloignés des sciences de gestion ? Une explication bien trop simple et sans aucun doute incomplète, même si le défaut de formation de certains dirigeants de studio en la matière est pointé du doigt, notamment par Stéphane Natkin (directeur de l’Enjmin, Ecole Nationale du Jeu et des Médias Interactifs Numériques) dans une interview de janvier 2010 : « certains patrons français du jeu vidéo mériteraient des cours de capitalisme ».

Il est vrai que la fragilité du secteur ne facilite pas les stratégies sur la durée, pourtant essentielles pour garantir la pérennité des entreprises. Il est vrai aussi que le jeu vidéo est un secteur encore novice, qui n’est certes plus dans sa prime jeunesse mais qui aborde son adolescence. Une période troublée justement… Entre enfance et âge adulte, le jeu vidéo serait à la croisée des chemins face aux périls et aux opportunités, à l’heure des choix où se décide son futur ?

Un couple risque-rentabilité périlleux, une dimension prototypale des projets qui perturbe les anticipations, mais aussi une logique de production qui suppose des variations d’effectif importantes, entre le début de la production (la phase de pré-production notamment) et le gros de la production où l’effectif peut exploser (voir à ce sujet JV Planning)… Autant de facteurs qui ne facilitent pas la tâche.

La gestion des ressources humaines notamment est une illustration parfaite de la problématique. La fragilité financière du secteur couplée à de fortes variations dans les besoins de personnel, ainsi qu’à une atomisation des acteurs, éparpillés en une myriade de sociétés… rendent très hypothétique la possibilité de fixer les pratiques RH. La sédimentation des savoir-faire n’est pas encouragée, alors qu’elle est essentielle dans un métier à forte valeur ajoutée qui combine dimension artisanale et industrielle.

De plus, la situation du marché français avec un unique acteur majeur comme Ubisoft qui ne possède pas de vis-à-vis véritable, n’encourage pas une émulation positive. A ne pas être confronté à une grosse société concurrente pour les recrutements, Ubisoft tire de prime abord un avantage pour sa capacité à juguler les prétentions salariales et modérer leur impact budgétaire. Mais c’est sans doute un désavantage sur la durée lorsqu’il faut sécuriser les parcours professionnels dans la profession et encourager la persistance des vocations, unique solution pour favoriser le développement de compétences de premier ordre. Si en France comme partout ailleurs le jeu vidéo attire du monde, il a aussi beaucoup de mal à conserver ses vétérans, dans tous les corps de métiers. Surtout lorsque, lassés des conditions offertes, ils finissent par se tourner vers d’autres secteurs aux conditions salariales à la fois plus rémunératrices et moins précaires. Ou lorsqu’ils ne partent pas tout simplement vendre leurs talents reconnus à l’étranger.

La passion est essentielle à un secteur comme le jeu vidéo, mais elle a aussi ses limites.

7. Le retard à l’allumage des pouvoirs publics :

Alors que la situation est exposée de manière parfaitement limpide dans le rapport gouvernemental de 2003, rapport assorti de recommandations utiles, la France a tardé à mettre en place une politique susceptible de renforcer sa compétitivité et son attractivité. Notamment face à la politique volontariste du Canada en la matière.

Je ne résiste pas au plaisir de citer quelques passages du rapport justement, « Propositions pour développer le jeu vidéo en France ». En synthèse introductive :

L’industrie du jeu vidéo est en France dans un état inquiétant :

• Ceux des éditeurs « français » qui participent encore à la course en tête ont en réalité transféré leurs principaux centres de production hors de France, quand ils n’ont pas déjà fait de même avec leurs centres de décision. Le relais de l’investissement en France n’est pas pris par les éditeurs internationaux.

• Les studios de développement ont vu leurs effectifs fondre de plus de moitié en seulement trois ans [entre 2000 et 2003, ndlr]. Confrontés à la délocalisation dans les pays à bas coûts, ils sont aussi exposés à la concurrence de pays développés, Canada en tête, qui ont mis en place des dispositifs de soutien très efficaces.

• Les éditeurs identifiés comme d’origine française jouent un rôle plutôt plus important (part de marché mondial de l’ordre de 15 à 20%) que ce que justifierait le poids de l’économie nationale. Mais ces bonnes performances ne doivent pas masquer le fait que les jeux vidéo développés en France ne représentent plus que 5% à 10% du marché français : inutile de préciser qu’à l’échelle du marché mondial, nous sommes passés sous le seuil de signification.

Et d’indiquer la prise de conscience qui en découle :

(…) les pouvoirs publics français, mais aussi britanniques et allemands, s’intéressent désormais à ce secteur longtemps ignoré parce que perçu comme marginal. Le jeu vidéo est devenu une industrie finalement assez banale, qui ressemble à ses cousines du cinéma et de la musique : inflation des budgets, économie de « hits », importance du marketing et de la distribution, consolidation des acteurs, etc. Dans ce contexte, l’objectif d’une politique de soutien à cette industrie peut s’énoncer simplement : il s’agit que les studios installés en France, qu’ils soient français ou non, puissent développer des jeux à gros budget, pour le compte des plus grands éditeurs internationaux.

Et un peu plus loin, de détailler notamment dans le diagnostic :

Est régulièrement dénoncée la contrainte exercée par les contrats à durée indéterminée – majoritairement utilisés dans cette industrie en France – sur la gestion de projets à géométrie variable. Le maintien d’équipes salariées complètes entre deux projets pèse naturellement sur les conditions d’exploitation des studios. Par ailleurs, la France se trouve prise en tenailles entre les pays à bas coûts d’une part (Chine, Russie, Tchéquie particulièrement dans cet univers des jeux vidéo) et d’autre part certains pays à coûts salariaux équivalents mais ayant mis en place des dispositifs de soutien à l’industrie. Parmi ces derniers, le cas le plus patent est celui du Canada, plus exactement ceux de Vancouver et de la province du Québec, qui sous forme de crédit d’impôt permettent un allègement jusqu’à 50% des charges salariales des entreprises du secteur audiovisuel et multimédia qui s’y installent.

Une quasi décennie plus tard, quelle est la situation ? Il y a certes eu le crédit d’impôt recherche et le crédit d’impôt jeu vidéo (en 2007), mais ces dispositifs restent en retrait par rapport à ce qui se pratique au Canada : le taux du crédit d’impôt y est supérieur, les conditions d’éligibilité moins contraignantes (notamment pour l’assiette des charges admises dans le mode de calcul ; il n’y a pas de “critères culturels” à respecter). De plus, le dispositif en France semble toujours exposé à une remise en cause par la Commission européenne à Bruxelles.

Dans l’émission radio “Business Club de France” sur BFM Business, Nicolas Gaume (patron du SNJV et de Mimesis Republic) précise l’étendue des dégâts. En 2000, le nombre d’emplois dans le secteur du jeu vidéo en France était de 20’000 personnes contre 3’500 à fin 2010, tandis qu’en parallèle 2’000 français travaillaient déjà au Canada (Québec principalement).

Emission “Business Club de France” BFM – 13 décembre 2010
Partie consacrée au jeu vidéo à partir de 26:00
Les invités :
Patrick Pligersdorffer, Cyanide
Guillaume de Fondaumière, Quantic Dream
Nicolas Gaume, SNJV / Mimesis Republic

Autres difficultés ou thèmes mentionnés dans l’émission : la migration des centres de décision en dehors de l’hexagone pour la relation avec les éditeurs (qui ne sont désormais plus français, sauf exception), la durée de vie très courte du produit, la délicate recherche d’un éditeur (un prototype autofinancé pouvant coûter 1 million d’euros sans garantie de trouver preneur…), la problématique du prix des jeux à la vente / le partage de la valeur avec les distributeurs, la promotion de nouveaux modèles économiques.

Risques élevés, rentabilité faible : pourquoi investir ?

Maintenant que nous avons dressé un portrait noir de la situation, qui explique aussi pourquoi les défaillances d’entreprises sont nombreuses, tâchons de trouver une lueur d’espoir et de comprendre pourquoi il existe fort heureusement encore des projets de création de société dans le jeu vidéo…

Il peut en effet demeurer intéressant d’investir dans le secteur du jeu vidéo (ou du cinéma ou de la musique…) lorsque le couple risque / rentabilité y est aussi dégradé pour deux raisons assez simples :

Premièrement, parce que lorsque nous parlons de rentabilité du secteur et du risque sous-jacent, nous parlons de rentabilité moyenne. Il existe des très fortes disparités entre les projets. Certains vont connaître la déroute et une perte équivalente à la totalité du capital investi. D’autres peuvent profiter d’un succès hors normes où la mise de départ est multipliée par deux, par cinq, par dix… ou davantage encore. Certaines sociétés du jeu vidéo réussissent ainsi à dégager une marge très appréciable, comme par exemple le groupe Activision-Blizzard ces dernières années.

Deuxièmement, parce que le secteur est “glamour” et qu’aux yeux de certains investisseurs, cela revient à se payer une “tranche de rêve”, s’offrir “une danseuse” ou “une ballerine” comme on disait autrefois (lorsqu’un homme riche s’attachait les faveurs d’une jeune danseuse à l’opéra grâce à sa fortune). La passion n’est ainsi pas totalement étrangère aux réflexes de certains investisseurs, ce sont des êtres humains après tout !

Dans une logique strictement financière, un fonds d’investissement pourra idéalement souhaiter répartir ses risques. Les placements les plus risqués ne constitueront pas plus de 5% du portefeuille, mais pourront par exemple s’investir dans le secteur du jeu vidéo, lequel est certes risqué mais peut aussi réserver de belles surprises. Autrement dit, dans une logique d’investisseur toujours, un placement dans le jeu vidéo revient à s’offrir un petit frisson, à condition naturellement de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier (auquel cas, il vaut mieux ne pas être cardiaque…).

Il existe naturellement des investisseurs qui peuvent souhaiter se spécialiser dans des placements plus risqués, mais dont ils attendent en contrepartie, et c’est logique, une rentabilité supérieure pour compenser la prise de risque. On dit alors qu’ils optent pour un couple risque/rentabilité plus élevé, avec l’espoir de juguler leur prise risque par une bonne connaissance du secteur.

Reste enfin pour les nouveaux studios les opportunités offertes notamment par le marché des plateformes mobiles ou les jeux sociaux, ainsi que les perspectives liées à la vente dématérialisée. Autant d’éléments qui peuvent réduire le coût du ticket d’entrée et bouleverser les schémas traditionnels. Le paysage concurrentiel demeure cependant d’une extrême densité qui n’enlève rien à l’apprêté de la lutte…

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