Le Hardcore PvP est-il viable ?
Le PvP (“Player versus Player”, signifiant “joueur contre joueur”) et plus encore le “hardcore PvP”, le PvP dans son expression la plus radicale, possèdent naturellement leurs adeptes et leurs détracteurs.
Dans la mesure où le PvP constitue par nature une atteinte à un autre joueur, il est admis que les jeux qui proposent du PvP hardcore se différencient assez nettement des autres dans leur choix de positionnement et les joueurs auxquels ils s’adressent. Si cela peut restreindre leur base de marché par une approche segmentante, cela peut aussi leur permettre de séduire un public ciblé.
Or, force il est de constater que sur le marché des MMO, les titres avec une orientation résolument tournée vers un PvP violent et sans concession sont plutôt rares et connaissent en général l’échec plutôt que la réussite. Le PvP hardcore condamne-t-il par nature tout MMO qui en emprunterait la voie ?
Caractérisation du PvP hardcore
Le PvP hardcore ne signifie pas “PvP joué par des hardcore gamers”, même si c’est parfois le cas. Il désigne plutôt une attitude, une philosophie générale par rapport au PvP traditionnel :
- Les possibilités de confrontation sont encouragées, autorisant parfois même de pouvoir attaquer les autres joueurs de sa propre race/faction sans distinction (“free-for-all PvP”) ;
- La mort est généralement pénalisante (perte d’XP, usure de l’équipement, fouille de cadavre…). Si bien qu’en pratique, le PvP hardcore désigne plutôt des situations de PvP sauvage (“Outdoor PvP”) par opposition au PvP instancié (champs de bataille, arènes), trop meurtrier pour pouvoir tolérer des contraintes sévères.
Comme nous pouvons le voir, le PvP hardcore se base de manière simultanée sur deux principes cardinaux qui s’opposent à première vue :
- La banalisation des situations de PvP ;
- La non-banalisation de la mort.
Ceci dans le but manifeste de renforcer l’enjeu des combats et leur conférer une intensité dramatique supplémentaire. En somme, procurer le grand frisson face au danger !
Le PvP hardcore en accusation
Selon l’adage bien connu, la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. C’est bien sur ce terrain que le PvP hardcore doit affronter les critiques. Dans l’espace de liberté que constitue un monde virtuel, s’il peut être jouissif de s’en prendre à un autre joueur, le plaisir n’est pas toujours partagé… Le PvP peut alors rapidement être assimilé à une nuisance majeure, source d’un anti-jeu aux conséquences parfois rédhibitoires.
Le PK, “Player Killer”, désigne ainsi le joueur spécialisé dans la traque et l’élimination des autres joueurs. Le “Player Killing” est la recherche ciblée d’un autre joueur en particuliers pour le tuer ou plus généralement, une attitude portée vers l’attaque systématique de tout joueur adverse qui peut être croisé sur la route. Toujours au rayon lexicologique, le “Griefer” correspond au psychopathe par excellence, joueur nuisible par dessus tout. Le “Ganking” stigmatise quant à lui l’acharnement sur un même joueur pour le tuer plusieurs fois après chaque “rez”.
Le PvP hardcore encourage aussi le souci de la performance, ce qui forme une incitation supplémentaire à se procurer les meilleurs armes et équipements en jeu. Une tendance qui peut parfois s’opérer au détriment de la sociabilité et de la maturité relationnelle du joueur. Le primat de la recherche de la puissance sur tout autre considération est identifié sous le vocable de “kikitoudurisme”, lequel n’est jamais employé comme compliment…
Certains dispositifs existent pour éviter qu’un système d’PvP hardcore ne dégénère trop. Deux dispositifs principaux cohabitent en général :
- La constitution de zones “sanctuaire” qui limitent (présence de gardes par exemple) ou interdisent tout simplement le combat entre joueurs. Ces zones existent en particuliers pour protéger les joueurs de bas niveau et éviter qu’ils ne se fassent tuer par des joueurs beaucoup plus forts qu’eux (phénomène du “grey kill”) ;
- Un système d’honneur ou d’alignement qui pénalise les PK et où certaines localités peuvent tout simplement leurs être interdites par les gardes lorsque leur réputation est trop dégradée.
Entre fantasme et réalité, l’attrait de la liberté
Pour aussi condamnable qu’il puisse être, le PvP hardcore véhicule aussi son lot d’espérance auprès de tous les joueurs en quête d’une grande liberté de se mouvoir et d’agir au sein d’un monde virtuel. C’est ainsi que les MMO à orientation PvP hardcore proposent souvent un univers très (trop ?) ambitieux.
Les fonctionnalités du jeu Darkfall en offrent un exemple typique :
- FPS en temps réel / toutes les attaques et tous les sorts doivent être visés
- Pas de classes / pas de niveaux : tout est basé sur des compétences et le skill du joueur
- Pas d’instances / aucun mur invisible / le monde est gigantesque et entièrement créé “à la main”
- Full-PvP / Full-Loot / vous pouvez tuer n’importe qui n’importe quand n’importe où, il faut juste en assumer les conséquences
- Friendly Fire (autant pour le heal que pour les domamges) / gestion des collisions
- Combats en montures / combats de navires
- PvE dynamique : une fois un spot nettoyé, les monstres migrent, s’installent quelque part, évoluent avec le temps, et quelques fois attaquent les villes joueurs… L’IA est aussi plus avancée que “je tape celui qui me tape le plus”, les monstres peuvent vous looter et changer d’armes en fonction de la situation.
- Un système de craft qui permet de créer (sauf quelques exceptions) tous les objets du jeu
- Territoires / royaumes de joueurs / constructions de villes, villages, fermes / commerce / politique…
- Des mécanismes anti-PK et anti-zergs par respectivement un système d’alignement et un système de respawn
Darkfall est un MMO qui va subir l’épreuve du feu à l’occasion de son lancement commercial en ce moment même puisqu’il est disponible en téléchargement depuis le 26 février 2009. Certains lui prédisent un échec cuisant : il ne s’agit pas d’un MMO “AAA” de première catégorie, son gameplay est perfectible, son aspect visuel est périmé, son ambition est démesurée par rapport à ses moyens, son positionnement hardcore est excessif… Son parcours a toutes les probabilités de débuter par une phase de lancement qui suscite la curiosité, encourage les souscriptions d’abonnement avant que l’intérêt ne retombe et le nombre de joueur ne se stabilise à un modeste niveau.
Le “syndrome Mordred”
Cette courbe de désaffection pour le PvP hardcore a déjà pu être observée ailleurs, sur d’autres MMO ou sur des serveurs spécifiquement dédiés au PvP. La raison de cette courbe tient à ce que les joueurs sont attirés par le PvP d’un point de vue abstrait. S’ils s’imaginent être faits pour le hardcore PvP, ils découvrent à l’usage, de manière brutale et décourageante, que ce n’est pas le cas.
Sur son blog, le game designer Scott Jennings (critique respecté dans le monde des MMO) en donne un bon exemple basé sur son expérience personnelle du lancement des serveurs PvP FFA, “free-for-all”, dans Dark Age of Camelot. Très attendu, le premier serveur de ce type “Mordred” a été pris d’assaut par les joueurs à l’occasion de son ouverture pour devenir le serveur le plus peuplé. Il a été suivi par la naissance de “Andred”, un second serveur du même type, lui aussi très populaire. Puis la population de ces deux royaumes s’effondra, au point de devoir fusionner “Andred” avec “Mordred” pour ne faire subsister que ce dernier dans un état crépusculaire.
L’expérience montre que des jeux comme Dark Age of Camelot avec ses serveurs FFA ou bien Shadowbane, contemporain de DAoC et très anticipé en son temps, ont tous deux pêchés par leur niveau de difficulté et un positionnement excessivement hardcore au niveau du PvP.
Niche ou perspective d’avenir ?
Tout l’enjeu d’un MMO centré sur le PvP est de réussir à surfer sur ce syndrome “Mordred” pour mieux le dépasser, avec l’espoir de fidéliser son public à l’arrivée. Mais à supposer que ce pari soit réussi, ce public est-il suffisant au point d’assurer une véritable viabilité à un MMO ?
Sous cet angle, il semble que le hardcore PvP condamne bel et bien à une stratégie de niche. Toutefois, il reste une perspective à méditer pour tout développeur désireux d’accrocher une population de joueurs passionnés. L’orientation PvP doit alors être compensée par un équilibrage des mécanismes de jeu afin de ne pas s’imposer à ceux des joueurs qui préfèrent y échapper. C’est à titre d’exemple ce que EVE Online semble réussir avec un certain brio, en proposant à la fois l’intensité du défi du PvP hardcore et l’opportunité de faire progresser son avatar dans une atmosphère plus protégée.