Actualités & Débats

Les nouvelles importantes sur les MMO, les grands débats qui animent les passionnés

Game design

La conception et la réflexion à partir des sciences humaines, sociales, économiques…

Marché des MMO

Les business modèles, l’évolution du marché et de la démographie des joueurs en ligne

Prospective

L’avenir des jeux en réseau, des communautés virtuelles et des univers persistants

Tests & Critiques

Les commentaires sur les titres en vogue ainsi que les créations les plus attendues

Home » Tests & Critiques

World of Warcraft ou la revanche de Pavlov

Ecrit par Pierre-Antoine Favre le 26 mars 2009 3 commentaires
World of Warcraft ou la revanche de Pavlov

Depuis son lancement en février 2005, le succès de WoW ne s’est pas démenti. Deux extensions plus tard et avec plus de 11 millions d’abonnés, le triomphe est complet. Cependant, une question se pose : qu’est-ce qui au juste rend WoW si addictif ? Et surtout, le titre de Blizzard est-il addictif pour de bonnes raisons ?

Son gameplay aux petits oignons, sa personnalité sur le plan graphique, son accessibilité, son ergonomie, la densité de son contenu par rapport à la concurrence, ses musiques mémorables, etc… sont autant d’éléments indéniables de sa réussite.

Jouer des heures : dans quel but ?

Hélas, passé l’émerveillement de la découverte et la fin de la phase de progression en niveau (pourtant gavée de quêtes d’un intérêt tout relatif…), le joueur se retrouve confronté au “end game”, bien moins séduisant par bien des aspects. Avant Burning Crusade, ce fameux “end game” se partageait essentiellement entre les champs de bataille (BG pour “Battlegrounds”) et les raids PvE dont les raids à 40, les plus exigeants et aussi les plus généreux en terme de récompense.

Déjà à l’époque, le système des grades PvP avait suscité la réprobation. Le rang 13 (avant dernier niveau) nécessitait ainsi selon une estimation 80 heures de jeu hebdomadaires ! Outre cette contrainte délirante, le système était totalement déconnecté du niveau de compétence objectif du joueur (le “skill”) puisque basé uniquement sur le temps de jeu passé en BG.

Le volet PvE n’était pas sans reproche non plus. Le format de raid à 40 joueurs obligeait les guildes à recruter en nombre, mais surtout ensuite, à devoir enchaîner en boucle les instances pour équiper tous leurs membres. Une disposition qui là aussi pouvait largement privilégier le temps de jeu sur le “skill”.

La modification du format des instances dans les extensions Burning Crusade et Wrath of the Lich King a œuvré dans le sens d’une diminution de la contrainte par rapport à la situation antérieure. Mais l’équipement (“stuff”) joue toujours un rôle prépondérant. Côté PvP, l’avènement des arènes n’impose plus des horaires de jeu absurdes, mais a lancé une course permanente à l’optimisation du stuff pour pouvoir rester compétitif. Dès qu’un joueur a su se constituer son “matos”, y ajouter les enchantements et autres améliorations utiles, il est confronté à la sortie tous les trois mois environ d’un set d’armure avec chaque nouvelle saison d’arène. Optique identique pour le PvE avec le renouvellement réguliers des donjons.

Réflexe de Pavlov et addiction

Dans son livre Le jeu pathologique paru aux Presses Universitaires de France en 1997, Marc Valleur, psychiatre-addictologue, décrit bien le comportementalisme répondant ou pavlovien :

“Le conditionnement répondant constitue le champ des classiques “réflexes conditionnés” ou réflexes conditionnels. Le principe en est bien connu, et se déroule en trois phases :
- D’abord, un stimulus inconditionnel entraîne une réponse inconditionnelle (la présentation de nourriture fait saliver le chien).
- Ensuite, un stimulus conditionnel s’ajoute au stimulus inconditionnel, et la même réponse inconditionnelle se produit (le son de la clochette s’ajoute à la présentation de nourriture)
- Enfin, le stimulus conditionnel produit la réponse, conditionnelle”

Difficile de ne pas y voir une description de ce qui dans WoW peut former l’addiction des joueurs. Le stuff y a remplacé l’os dans la fameuse expérience de Pavlov avec un chien :

Dès lors, la simple évocation de la sortie d’un nouveau set d’armure suffit à provoquer un stimulus conditionnel, même si le stuff en question (stimulus inconditionnel) est inaccessible pour le commun des mortels, réservé qu’il est à une minorité, celle des “hardcore gamers” et autres “nolifes“.

Démonstration supplémentaire, ultime aboutissement de la vacuité du jeu, l’implémentation des hauts faits possède définitivement l’art de faire saliver le joueur au son de la clochette sans plus aucun os véritable à ronger…

L’origine du mal

WoW n’est-il rien d’autre qu’une course à la performance notamment via la quête de stuff, en l’absence de tout autre but structurant ? Sur son excellent blog, Wolfshead fait remarquer à quel point les mathématiques et les nombres sont devenus une obsession dans les MMO (passion pour la “theorycraft”).

Le mal semble trouver notamment ses origines dans Everquest, lorsque les pénalités liées à la mort obligeait les joueurs à connaître les moindres subtilités du jeu pour tâcher d’en limiter les risques et rester en vie. Une démarche qui en retour a permis à certains d’en maîtriser au maximum les mécanismes, d’optimiser leur temps investi et au final de pouvoir profiter du contenu le plus exigeant. Rob Pardo (Ariel) et Jeffrey Kaplan (Tigole), responsables éminents de Blizzard, furent d’anciens chefs de guilde à la pointe de l’avancée PvE d’Everquest. Faut-il alors s’étonner de retrouver dans WoW, poussée jusqu’à son paroxysme, cette logique élitiste qui a vu le triomphe des achievers au détriment des autres styles de joueurs, socialisers, killers et explorers, tels qu’ils apparaissent dans la taxonomie de Bartle ? L’”über attitude” donne désormais la tonalité des MMORPG.

Comme attirée par un trou noir gravitationnel, l’expérience de jeu est à ce point normée que seuls les rares joueurs qui pratiquent encore avec passion le roleplay ou le PvP sauvage réussissent à sortir des sentiers battus, non sans devoir bien souvent affronter toute l’inertie ainsi que les critiques des autres résidents de leur serveur. Mais est-ce bien étonnant ?

Le mal était déjà dans le fruit dès la conception de WoW où sans surprise, de manière conforme à son habitude et à ce qui fait son talent reconnu, Blizzard a su polir, porter à un degré de maîtrise sans précédent un concept inauguré avant lui pour transformer sa création en référence incontournable du genre.

Un malaise qui dépasse WoW

A la GDC 2008, Rob Pardo, vice-président de Blizzard, a donné une vision éclairante de toute la philosophie de Blizzard en matière de MMO avec des affirmations du genre “math is the foundation of your game system” ou bien encore, “incentives drive behavior”. Difficile de ne pas être plus explicite… Au point de remarquer avec lucidité certains effets pervers qui en découlent comme le phénomène des afk dans les BG :

D’ailleurs, si vous lisez bien l’intervention de Rob Pardo, il est écrit : “AFKaving players leeching honor because of insufficient incentives to actually PvP”. Oui, vous avez bien lu, il n’y a pas assez de récompenses pour les joueurs et c’est pour cela qu’ils préfèrent se mettre afk ! N’est-ce pas vraiment prendre le problème à l’envers, alors que ce qui semble en défaut n’est pas le système de bonus mais bien plutôt le manque d’intérêt du jeu tout simplement ? Blizzard préfère augmenter les doses de stimulants, traiter les effets au lieu de s’attaquer à la cause.

Le positionnement E-Sports de WoW au travers des saisons de gladiateur n’est d’ailleurs pas sans illustrer la fuite en avant d’un jeu qui semble oublier qu’il était au départ un MMO avec un vaste univers persistant. Au final, les joueurs se retrouvent à mesurer leur habilité à tourner autour d’un pilier entre les quatre murs d’une arène…

Ce décalage entre son potentiel prometteur et la réalité de WoW débouche sur un malaise très perceptible. Pire, ce malaise peut être généralisé à la quasi totalité des MMORPG sur le marché tant il est emblématique du tropisme actuel. La quantité de MMO asiatiques dont le farming intensif constitue la pierre angulaire en dit long sur le sujet.

Au fil du temps, WoW s’est même transformé en paradis à “Kevins”… Réceptifs aux stimuli, les joueurs en manque de maturité pullulent au détriment de ceux, en général plus âgés, qui seraient prêts à renoncer à des récompenses immédiates en échange d’une gratification à long terme.

Basée sur la force du déterminisme pavlovien, l’attraction de WoW demeure redoutable même sur un public plus mature. Nombreux sont sans doute les joueurs à ne pas être totalement convaincus mais qui maintiennent leur abonnement, faute d’entrevoir sur le marché une offre vraiment concurrente et surtout capable de rompre avec le paradigme en vigueur.

Jouer aux MMO, une vie de chien ?

Dans son essai philosophique sur le Mythe de Sisyphe, Camus estime que “la lutte vers les sommets elle-même suffit à remplir un cœur d’homme” et qu’il nous “faut imaginer Sisyphe heureux”. Le succès de WoW tiendrait-il à cette compréhension de la nature humaine qui confère à une expérience de jeu la peine d’être vécue même face à l’absurde ? Si c’est le cas, il ne reste plus à espérer pour les fans du MMO de Blizzard (et les fans de MMO en général) qu’ils ne seront pas obligés de pousser un rocher devant eux pendant encore trop longtemps…

Laissez un commentaire !

Ajoutez votre commentaire ci-dessous, ou rétrolien depuis votre propre site. Vous pouvez aussi souscrire à ces commentaires via RSS.

Merci de rester dans le sujet. Pas de spam.

Vous pouvez utiliser ces tags :
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>

Vous êtes sur un site compatible avec le service Gravatar. Pour obtenir votre propre avatar, enregistrez-vous sur Gravatar.