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SuperMMO

Ecrit par Pierre-Antoine Favre le 31 mai 2009 8 commentaires
SuperMMO

SuperMMO est un essai de prospective sur l’avenir des jeux en ligne massivement multijoueurs. Il propose une innovation de gameplay pour permettre au genre d’accomplir une évolution significative.

Mais avant de proposer cette innovation, revenons sur la situation actuelle. Les MMO se suivent… et se ressemblent. Toujours la même promesse, celle d’un univers virtuel qui offre toutes les libertés aux joueurs à travers des activités passionnantes.

La réalité : une progression pénible à travers un gameplay qui n’est toléré nulle part ailleurs, un monde synthétique à l’évolutivité restreinte ou inexistante, une fin de jeu dominée par les zones instanciées où le concept de “massivement multijoueurs” est battu en brèche et des mécanismes de motivation du joueur contestables, parfois très décriés.

Les critiques sont légitimes à l’encontre des MMO actuels. Elles ignorent cependant une limite technique, omniprésente, invisible pour le grand public mais qui demeure le casse-tête des développeurs.

Le plafond invisible

Le principal obstacle au MMO dont tout le monde rêve provient de la difficulté de faire coexister à l’écran un grand nombre de joueurs qui interagissent entre eux. Pour s’en rendre compte, voici quelques schémas. Le premier représente par des flèches rouges le nombre d’interactions entre deux joueurs dans une confrontation PvP :

Interactions entre deux personnages (1vs1)

Chaque joueur peut : 1. Interagir avec lui même (buff, soin si sa classe le lui permet), 2. Attaquer chaque adversaire qu’il a en face de lui. Dans une situation de 1vs1, il y a donc potentiellement jusqu’à 4 interactions gérées, calculées, puis dont les résultats doivent être renvoyés par le serveur de jeu.

Dans une situation de 2vs2 qui implique 4 joueurs, le nombre d’interactions croît rapidement :

Interactions entre 4 personnages (2vs2)

Le nombre potentiel d’interactions est de 16 au lieu de 4 dans le cas du 1vs1. Pour un nombre de joueurs qui a doublé, le nombre d’interactions a été multiplié par 4 (soit 2²).

Cela nous permet de dégager la règle générale qui s’applique au nombre d’interactions d’un groupe de n vs n joueurs et qui est de (2n)² – le nombre de joueurs (2 fois n) élevé au carré :

Interactions entre 2 x n joueurs (n vs n)

Dans le cas d’une situation avec 20vs20 joueurs (soit 40 joueurs au total), le nombre total d’interactions est de 1’600. Ce nombre s’élève à 6’400 pour du 40vs40, 40’000 pour du 100vs100, 160’000 pour du 200vs200.

Dans les MMO, la limite de confort de la plupart des serveurs actuels se situe aux alentours du 20vs20. Parfois, les serveurs tolèrent relativement bien les situations de 40vs40, mais au-delà, le lag fait son apparition et ses conséquences sont rédhibitoires sur le bon déroulement du jeu. Huxley, le titre à paraître de Webzen, promet des confrontations pouvant atteindre jusqu’à 100vs100 joueurs sur PC – il y a fort à parier cependant que le level design des zones de combat proposera aux joueurs de se répartir en différents emplacements de la carte pour éviter les regroupements trop massifs.

L’enjeu du gain de puissance

Bref, les contraintes que nous évoquons constituent le plafond de verre des MMO, une limite invisible mais bien présente à laquelle se heurtent tous les développeurs. Leur préoccupation permanente est d’éviter les confrontations de 20vs20 joueurs, 40vs40 dans une hypothèse optimiste, ce qui explique pourquoi autant d’activités du end game sont instanciées.

Surmonter le handicap technique lié à la limite au regroupement des joueurs est alors essentiel. Ce n’est ni plus ni moins que la capacité à proposer des activités “massivement multijoueurs” qui est en cause, de quoi enfin faire mériter véritablement ce qualificatif aux MMO. Vous rêvez de grandes confrontations épiques ? D’un monde dynamique qui n’est pas instancié, qui favorise l’open RvR (“Realm vs Realm” ou Royaume contre Royaume), les raids PvE d’envergure, les grandes réunions entre joueurs ? Tout ceci est pour l’heure impossible.

En revanche, le relèvement de la puissance des serveurs autoriserait toutes les audaces. Finis l’instanciation à outrance du end game. Le caractère persistant d’un univers virtuel en sort renforcé, il devient possible d’envisager des villes contrôlées par les joueurs, des confrontations de masse (batailles rangées, sièges, attaques de World Boss en extérieur…) qui impliquent aussi bien des joueurs que des PNJ en nombre.

Les conséquences sont donc multiples et surtout, l’avantage concurrentiel pour les développeurs et la relance de l’intérêt des MMO pour les consommateurs sont évidents. Seul problème comme nous allons le voir, la puissance de calcul nécessaire à une amélioration sensible est très importante.

Loi de Moore et vitesse d’évolution des MMO

La Loi de Moore, du nom de son créateur Gordon E. Moore (un des trois fondateurs d’Intel), stipule sur la base d’un constat empirique que la puissance de calcul d’un microprocesseur double en moyenne tous les deux ans. Cette loi s’est vérifiée avec une régularité étonnante entre 1971 et 2001 où la densité des transistors a doublé toutes les 1,96 années :

Courbe de la Loi de Moore

Depuis 2004, un léger ralentissement est observable, lié à des problèmes de dissipation thermique, mais qui demeure une entrave modérée à la marche du progrès. Au point de redouter de se retrouver confronté aux effets quantiques en 2015, date à laquelle un renouveau technologique d’ampleur sera sans doute nécessaire (avènement des nanotechnologies ?) afin de dépasser les limites physiques des microprocesseurs.

La puissance future des serveurs peut naturellement porter à débat. Mais pour le sujet qui nous concerne, nous partirons du principe, certes grossier, que la puissance disponible va doubler tous les deux ans. Pour une base 1 en 2009, la puissance des serveurs sera de 2 en 2011, 4 en 2013 et ainsi de suite – même si une borne théorique risque d’apparaître vers 2015.

Dans un MMO, selon la relation établie plus haut, doubler le nombre d’interactions entre joueurs exige de quadrupler la puissance du serveur. La marge de progression liée à l’évolution des serveurs est donc déterminée par la relation inverse, la racine carrée du gain en puissance :

Dans l’hypothèse basse où la limite de confort des serveurs est de 20vs20 joueurs, à considérer un doublement de la puissance des serveurs tous les deux ans, nous ne serons pas en mesure de proposer des affrontements de 100 contre 100 avant… 2019 ! 10 ans, autant dire, une éternité à l’échelle du rythme de développement des jeux et de l’informatique en général.

Dans l’hypothèse haute où la maîtrise du 40vs40 joueurs est réputée déjà acquise, il faudra tout de même attendre près de 5 ans pour envisager le 100vs100 et une dizaine d’années pour le 200vs200.

Dans ces conditions, sauf à spéculer sur une percée technologique inédite, les concepteurs et éditeurs de MMO n’ont que deux solutions :

1. Investir dans des serveurs plus performants que ceux actuellement utilisés : c’est possible, ces serveurs existent, mais leur coût rend l’équation économique intenable et surtout, le gain en puissance est trop limité pour permettre une amélioration radicale du gameplay.

Exemple : si l’achat de serveurs quatre fois plus rapides coûte par exemple quatre fois plus cher (ce qui en soit condamne déjà le projet sur un plan financier…), le gain en puissance ne permet que de doubler la taille des regroupements de joueurs, comme de passer de 20vs20 à 40vs40. C’est appréciable mais pas suffisant pour révolutionner le gameplay : le coût marginal est prohibitif par rapport au gain marginal, la solution n’est pas viable.

2. Compenser le handicap technique par une innovation de gameplay : faute de solution sur le plan technique, c’est au game design de proposer des idées pour surmonter la difficulté. Il n’y a pas d’autre alternative…

Le game design à la rescousse !

L’origine de notre problème réside dans la difficulté à faire coexister de manière simultanée un grand nombre de joueurs lorsque ceux-ci interagissent entre eux. C’est le cas par exemple lorsque les affrontements mettent en œuvre une proportion importante de sorts de zone. Même si les joueurs font partie d’une groupe qui aide leur coordination, le calcul des dégâts infligés, des dommages subis, des soins reçus ou donnés, des points de vie/mana restants, etc… est totalement individualisé.

Pour diminuer la charge du serveur, l’idée naît de considérer plutôt le joueur comme faisant partie d’un groupe de combat, ci-après dénommé “Groupe d’Action Spontané Autonome” (GASA) ou plus simplement, “groupe d’action”. C’est à ce groupe (et non à chaque avatar directement) que vont être appliqués les dégâts reçus, qui seront ensuite répartis entre les membres du groupe. De la même manière, les dégâts infligés ne seront plus attribués à une multitude de cibles, mais à une cible unique, le groupe ennemi, dans le cas d’une confrontation de masse.

Ceci permet de réduire de manière drastique le nombre d’interactions :

Nombre d'interactions dans un

Dans le cas d’un affrontement de n vs n joueurs, deux groupes d’action de n joueurs se font face. Les deux GASA sont constitués automatiquement avec un leader à leur tête. C’est ce leader qui va décider de la cible à prendre et qui va donner un ordre à ses coéquipiers. La barre d’action individuelle de chaque membre du groupe est remplacée par une barre d’action collective, modifiée en partie selon la classe du personnage. Sur un ordre du chef de groupe, les participants doivent réagir le plus rapidement possible sur leur barre d’action pour améliorer la réussite de l’action collective.

Les interactions s’opèrent alors au sein de chaque groupe : le joueur participe par ses actions au GASA et en retour, les résultats des actions du GASA sont reportés sur le joueur. Les actions directes d’un joueur sur un autre joueur n’existent plus pour être remplacées en intégralité par les interactions au sein de chaque GASA (pour les soins et les buffs par exemple) et entre les deux GASA.

Il y a n joueurs dans chaque groupe, soit 2 fois n joueurs (2 groupes) et donc 4 fois n interactions au total. Deux interactions s’ajoutent pour déterminer le calcul du combat entre les deux GASA. Le nombre d’interactions est donc de 4n + 2 à comparer aux 4n² interactions dans l’approche standard, lorsque les joueurs ne sont pas regroupés pour le calcul de leurs interactions.

Avec l’approche du GASA, il résulte d’une confrontation de 200vs200 joueurs 802 interactions, à comparer aux 1’600 interactions nécessaires pour gérer une rencontre de 20vs20 joueurs en l’absence de “groupes d’action”.

Le “groupe d’action”, solution parfaite ?

Par une innovation de gameplay, le “groupe d’action” propose de contourner l’obstacle technique initial. Il y parvient en grande partie même s’il faut pondérer le propos.

Cet article est très prospectif. Il offre tout au plus des approximations, la réalité des phénomènes décrits en matière d’interactions étant beaucoup plus complexe. Même lorsque les joueurs sont rassemblés au sein des GASA, il est nécessaire de transmettre la position de chaque joueur aux autres joueurs. En pratique, il subsiste donc bien un nombre d’interactions très importants. L’avantage tout de même du système proposé, est de réduire dans une proportion importante la charge de calcul requise au niveau du serveur de jeu.

Cela ouvre une perspective intéressante en terme d’évolution des MMO, même si la solution proposée n’est pas tout à fait une solution miracle. En effet, dans le cas d’affrontements massifs, l’affichage d’un grand nombre de personnages à l’écran est un réel défi. La contrainte technique ne repose alors plus autant sur le serveur que sur la carte graphique de l’ordinateur du joueur.

Selon les options graphiques de chaque utilisateur, il est cependant possible d’utiliser un effet visuel qui justifie une limitation de l’affichage des détails de l’action. Nous en donnerons un exemple ici avec le concept de “brouillard de bataille”, l’équivalent très local du “brouillard de guerre”, qui s’apparente ici à la poussière soulevée par le combat.

Un exemple avec cette scène de Star Wars : Episode II – L’Attaque des clones :

Le fun pour surmonter la contrainte

Avec le groupe d’action, certes le joueur n’est plus tout à fait libre de ses actions. Cela dit, si ses sorts individuels sont escamotés au profit de sorts collectifs, rien n’empêche de rendre ceux-ci puissants et intéressants.

Le défi est de proposer une innovation de gameplay dont le but est non seulement de surmonter une contrainte technique, mais aussi pourquoi pas, de rénover la logique des affrontements de groupe dans les MMO. Le but est en somme de faire accepter la contrainte qui peut naître du GASA par un plaisir de jouer renouvelé.

Le cas du “brouillard de bataille” est plus délicat. Il n’apporte rien en tant que tel au joueur et n’est destiné qu’à masquer une difficulté d’affichage pour ne pas sacrifier la fluidité de l’action. Toutefois, sans se hasarder à une estimation rigoureuse, nous pouvons parier que le gain en puissance des processeurs sur les prochaines années permettra de surmonter la gageure liée à l’affichage d’un nombre d’objets à l’écran sans cesse grandissant.

Au final, il s’agit de soupeser les inconvénients du GASA au regard de l’évolution très conséquente qu’il est susceptible d’apporter. Si le concept du GASA est bien digéré par un game design ingénieux, il est même possible de transformer le combat de groupe en une fonctionnalité réellement amusante pour le joueur, un argument marketing supplémentaire.

Vers le MMO de demain ?

L’apport majeur de l’innovation proposée par le GASA est de faire sauter le verrou technique qui condamne le genre des MMO à la stagnation conceptuelle. Une fois l’obstacle contourné, le game design peut s’autoriser une marge de manœuvre salutaire pour apporter un vrai vent de fraîcheur.

En route vers le SuperMMO ? C’est très présomptueux et prématuré de l’affirmer, mais l’ambition de mon intervention est de suggérer qu’un game design entreprenant peut ouvrir la voie à un vrai changement de paradigme. Ce changement est vital à la fois pour les joueurs, en attente d’une métamorphose radicale des MMO, et pour l’industrie du jeu vidéo qui prend trop de risques à financer des projets au coût démesuré, incapables de se différencier sur le marché.

Car percer le plafond de verre invisible qui plombe la conception des jeux en ligne massivement multijoueurs est plus que jamais nécessaire… Il est temps de voler enfin au dessus des nuages.

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