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Vie et mort des sociétés de jeu vidéo (1/2)

Ecrit par Pierre-Antoine Favre le 31 mai 2012 Aucun commentaire
Vie et mort des sociétés de jeu vidéo (1/2)

Si le secteur du jeu vidéo affiche un fort dynamisme, il se caractérise aussi par une mortalité élevée des sociétés qui le composent.

En France, rien que pour l’année 2011, les entrées et sorties dans la liste des studios sont nombreuses.

La liste n’est pas de moi, mais de Laurent Lemoine (ancien de l’ENJMIN et à présent chef de projet chez Amplitude) :

France, 2011, fin de partie pour : AGO Games, Beyondthepillars, Birdies Road, Creative Patterns, Darkworks, Legacy of Artists and Developers Incorporated, Mad Monkey Studio (SC2X), Mindscape, PlayAll, Punchers Impact, Stugno Games, Vivaio Games, Yullaby et Zallag.

Dans le même temps, de nouveaux joueurs sont arrivés : Amplitude Studios, Area Effect, Atelier 801, Blossom Minds, Candybox Studio, Clan of the Cloud, Digital Studio TransMedia (D.S.T.M.), DogBox Studio, DreamCave, Earthlings, Familia Games, Fun and Play Software (FPS), GG Factor, Heliceum, Kadank, Mob In Life, Okugi Studio, Serial Screener, Stardust Interactive, Studio Troll, Uncanny Games, Wargaming Europe et We Want To Know. Bonne chance à eux !

(Liste qui n’a pas la prétention d’être exhaustive)

Qu’est-ce qui peut amener autant d’entreprises du secteur à péricliter ? Pourquoi en même temps, autant de nouvelles structures sont crées ? Voici une tentative d’explication en 7 points.

1. Le jeu vidéo, industrie de prototype :

A l’instar d’autres industries culturelles, le cinéma et la musique en tête, le jeu vidéo est une industrie de prototype.

C’est une industrie car il existe une intensité capitalistique dans l’investissement, une nécessité pour constituer l’appareil productif nécessaire à la réalisation du produit. Dans un studio de développement de jeux vidéo, cela concerne à la fois des éléments matériels (un parc d’ordinateurs avec des configurations matérielles puissantes, des logiciels dont les licences sont parfois très coûteuses, une surface de travail pour accueillir les effectifs de la production) et des éléments immatériels (le recrutement d’un personnel qualifié, le développement d’un savoir-faire sur la durée).

Il y a une dimension prototypale car chaque nouvelle création possède un caractère inédit. Il s’agit d’un produit sur mesure qui n’a encore jamais été réalisé exactement à l’identique. Il existe donc une incertitude forte sur la nature finale du produit (sera-t-il réussi ou non sur le plan technique ? le gameplay sera-t-il « fun », sachant que son processus d’élaboration est très itératif ?) ainsi que sur sa réception critique par le marché et son destin commercial. Même une fois les risques au niveau de la production surmontés, et ils sont d’autant plus difficiles à surmonter du fait du caractère novateur du produit, les titres sur le marché peuvent suivre des parcours très contrastés.

Au final, le projet peut tout aussi bien s’avérer un bide retentissant qu’un succès phénoménal. Dans ces conditions, l’anticipation des événements qui relève d’une dimension cardinale dans toute démarche de bonne gestion est d’autant plus délicate. La difficulté à anticiper ne fait que multiplier les défaillances d’entreprises.

2. Un couple risque rentabilité détérioré :

Les financiers ont coutume de parler de couple risque-rentabilité : il s’agit de mettre la rentabilité attendue d’un projet d’investissement en équivalence avec sa probabilité de réalisation (ou de non réalisation…). En gros, combien le projet est-il censé me rapporter en théorie et quel est son risque associé, également qualifié de « risque sous-jacent » ? Naturellement, selon qu’un investisseur souhaite une approche agressive ou une approche plus conservatrice, il sera enclin à privilégier un couple risque-rentabilité élevé (une rentabilité prometteuse au prix d’un risque sensible) ou bien au contraire, un couple risque-rentabilité faible (un risque modéré pour une perspective de gain plus modeste).

Or, conséquence de ce que le jeu vidéo est une industrie de prototype comme nous venons de la décrire, le jeu vidéo cumule un double inconvénient. Non seulement la rentabilité globale y est faible, mais en plus, le risque associé est très élevé.

Une étude de l’Eedar (Electronic Entertainment Design and Research, un institut de recherche marketing) datant de 2008 révèle ainsi que seuls 4% des jeux (tous supports confondus : consoles, PC, mobiles, etc.) seraient rentables. Et parmi les titres qui font l’objet d’une distribution dans les linéaires, 20% génèrent du profit.

Selon une tendance confirmée par toutes les observations, sur 20 projets de jeu vidéo qui font l’objet d’un prototype, seuls quatre feront l’objet d’une sortie commerciale (i-e 16 projets seront tués dans l’œuf, à des stades divers, allant du simple prototype technique à la beta, soit une version du jeu proche du lancement). Et parmi ces 4 ou 5 jeux distribués, un seul gagnera de l’argent, les autres seront déficitaires… Il faudra donc que l’argent engrangé sur le projet à succès puisse couvrir l’ensemble des frais engagés sur tous les autres projets perdants. Une véritable gageure, sans compter le piratage dont peuvent être victime les jeux à succès et la fenêtre de temps très courte pour leur exploitation commerciale.

La réussite exceptionnelle d’un titre ne doit donc pas masquer la réalité statistique du secteur. Même si l’étude de l’Eedar pointait, entre autres phénomènes explicatifs, un problème d’inadéquation de l’offre par rapport à la demande (une grande partie des sorties de jeux concernent un public adulte qui ne représente que 10% du public global, traduisant en cela un véritable engorgement sur le marché), cela n’altère en rien l’infime proportion des projets qui réussissent par rapport à ceux qui échouent. Le ratio est ainsi toujours sensiblement le même en 2012. Un projet qui gagne de l’argent pour une vingtaine qui sont déficitaires…

3. La hausse des budgets de production :

Le budget moyen d’un jeu triple A (un blockbuster sur le marché) était à la fin des années 90 de 5 millions de dollars environ. Avec l’avènement des consoles de salon de la génération actuelle (XBOX 360, PS3, Wii), le coût moyen est plutôt passé à 10-15 millions de dollars. Avec de tels gabarits d’investissement, pour un studio de développement, il est difficile pour ne pas dire impossible de financer un projet dans sa globalité. Or, comme nous l’avons vu précédemment, le risque associé au développement d’un jeu vidéo est tel qu’un studio ne peut pas se permettre d’engager sa survie sur chaque nouvelle production. La logique voudrait pourtant qu’un studio puisse multiplier les projets afin de répartir ses risques et ainsi surmonter les inévitables échecs qui ne manquent pas de survenir.

A moins d’être une grosse structure (comme Ubisoft en France) et pouvoir ainsi être son propre éditeur, un studio n’a désormais pas d’autre choix que de rechercher la complicité d’un éditeur. Même pour une entreprise comme Blizzard, propriétaire de ses marques et de ses outils de développement, qui a pourtant la réputation de soigner ses produits à l’extrême quitte à sacrifier certaines productions en interne avant leur sortie sur le marché (Starcraft: Ghost est un cas célèbre), il est indispensable d’être adossé à un grand groupe (Activision-Blizzard en l’occurrence qui est la propriété de Vivendi Universal).

Dans le domaine des MMO, la toute récente descente aux enfers de 38 Studio à Boston, suite à un défaut de paiement sur une échéance de ses emprunts, illustre toute la difficulté des projets de longue haleine sur d’énormes budgets. Certes, il ne s’agit pas d’exemples hexagonaux, mais ils sont le reflet de la problématique en vigueur dans l’industrie du jeu vidéo.

Pour les studios de développement, il existe toute de même une lueur d’espoir avec les projets sur iPhone et les plateformes mobiles. Le coût unitaire d’une production s’établit sur un tout autre ordre de grandeur (entre 30 000 et 300 000 euros à titre indicatif). Avec un ticket d’entrée beaucoup plus abordable, il devient possible de multiplier les projets pour répartir les risques et gagner en expérience. Reste que la profusion des offres peut nuire à la visibilité d’un titre, comme cela fût typiquement le cas sur le marché de la DS.

4. Le rapport de force avec les éditeurs :

C’est une conséquence du point qui précède. Pour un studio indépendant, le passage par un éditeur est le plus souvent indispensable, sauf à devoir se limiter à des productions aux investissements plus modestes ou bien à prendre des risques considérables sur une seule production…

La situation précaire des studios de développement n’est ainsi pas de nature à leur permettre d’aborder les discussions avec les éditeurs en position de force. Lorsqu’un éditeur accepte de financer un développement de jeu, il exigera le plus souvent la propriété de l’IP (la licence) afin de pouvoir en exploiter les retombées éventuelles. Il en résulte pour le studio une plus grande difficulté à toucher les fruits d’un succès, alors que les retombées négatives d’un échec sont de nature à l’affecter directement (clauses de contrat qui portent sur l’annulation de la production et de la manne financière associée) ou indirectement (facteur d’image négatif).

De manière caricaturale : si le projet réussit, c’est surtout l’éditeur qui en profite ; si le projet échoue, même si l’éditeur souffre, le studio de développement souffre également à coup sûr. Ce qui n’améliore guère son couple risque-rentabilité…

Dans un rapport gouvernemental de 2003 (lien alternatif), intitulé « Propositions pour développer l’industrie du jeu vidéo en France », cette situation était déjà parfaitement identifiée. Le studio de développement y est décrit comme le maillon faible de la chaîne, situation qui n’a hélas pas changé depuis, même s’il existe au moins l’alternative du développement sur les plateformes mobiles ou les jeux sociaux pour les jeunes pousses qui veulent faire leurs premières armes.

5. Les logiques d’investissement :

Dans une volonté bien légitime de réduire les risques encourus, le comportement traditionnel des investisseurs français comporte deux inconvénients typiques :

1. La réticence à investir pour des innovations d’usage plutôt que pour des innovations technologiques : les investisseurs sont familiers avec les investissements dans la recherche et développement, laquelle fait l’objet d’un certain nombre d’aides publiques et peut également figurer dans le bilan de l’entreprise. Une façon de sécuriser une partie de l’investissement, l’éventuel dépôt de brevet offrant en outre une protection sur le plan juridique.

Mais si l’innovation technologique est partie intégrante de l’évolution du jeu vidéo, elle ne doit pas masquer l’importance des innovations d’usage, à travers la découverte de nouvelles manières de jouer et l’élaboration de gameplays novateurs. Or, les investisseurs sont beaucoup moins à l’aise avec ce type d’innovation, pourtant essentiel dans un média en plein essor. D’autant que la grammaire de l’interaction, spécificité du jeu vidéo, est très loin d’être figée et autorise encore toutes les audaces, lesquelles peuvent s’avérer très payantes en retour.

2. Une volonté d’optimisation de l’investissement avec en corollaire, une logique parfois malthusienne : les européens et parmi eux les français manifestent en général un bon contrôle des ressources investies avec une volonté d’éviter la déperdition dans les capitaux engagés. Voilà pour l’aspect positif, car il peut aussi en résulter une certaine frilosité et un comportement malthusien dans l’investissement.

Par contraste, les investisseurs en Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada typiquement) agissent de manière beaucoup plus binaire. Si un projet semble prometteur, il bénéficie d’un soutien plus franc et plus spontané ; tout comme à l’inverse, un projet sera plus facilement condamné s’il est jugé compromis dans ses chances de réussite.

Il n’existe aucune supériorité définitive d’un modèle d’investissement sur un autre, en l’occurrence de l’approche européenne par rapport à l’approche nord-américaine. Ce que l’on peut dire en revanche, c’est que si l’approche européenne convient relativement bien aux marchés matures, elle marque parfois ses limites sur les marchés innovants et aussi dans les industries de prototype, comme dans l’entertainment (jeux vidéo, cinéma, musique, etc.).

Selon l’adage qui veut que plus une ressource est abondante, plus elle aura tendance à être dilapidée, il est vrai que des capitaux investis crânement et massivement sur un nouveau projet auront une plus forte propension à connaître un certain gâchis. Avec une maîtrise fine du débit de l’investissement, les français limitent la surface d’engagement sur le plan financier. Mon intuition personnelle est cependant qu’une telle approche peut aussi conduire à sous-investir dans les phases clés de développement du projet. Notamment dans la période de pré-production qui fait la part belle au prototypage et qui est essentielle pour la réduction des risques et l’appréciation des chances de réussite du projet. Au final, il peut en résulter, hélas, une nette détérioration du couple risque-rentabilité du projet plutôt que l’amélioration recherchée.

Seconde partie : Vie et mort des sociétés de jeu vidéo (2/2)

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