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Level up, l’enfer du devoir (2/2)

Ecrit par Pierre-Antoine Favre le 29 mai 2009 4 commentaires
Level up, l’enfer du devoir (2/2)

Première partie : Level up, l’enfer du devoir (1/2)

Par contrainte technique ou par manque d’inspiration, les développeurs proposent un level up omniprésent aux joueurs. Activité le plus souvent rébarbative, mais de fait incontournable, le level up fait l’objet d’une réprobation croissante.

Haro sur le level up !

L’accumulation des quêtes de type “monster bashing” ou “fedex” à travers des “zones de farm” ne manque pas de provoquer une vraie lassitude des joueurs face au phénomène des MMO. Si celui-ci fascine toujours, si nous sentons que nous en sommes encore au début de l’aventure des jeux en ligne massivement multijoueurs, l’impact de l’usure des consommateurs sur le succès commercial des créations actuelles n’est pas à négliger.

De manière plus globale, le système du level up se superpose au manque de plasticité, au caractère statique des univers de MMO, lui aussi mis en accusation par les joueurs.

Citée dans un article de Richard Bartle sur Gamasutra en 2004 (avant la sortie de WoW), une étude privée du Themis Group a été menée sur 1’100 joueurs, vétérans d’au moins 3 mondes virtuels. Il leur a été demandé d’indiquer combien de temps ils avaient passé dans leur premier MMO, puis dans le deuxième. Le rapport entre ces deux valeurs permet d’obtenir un pourcentage révélateur du temps moyen consacré au deuxième MMO par rapport au premier :

EverQuest 80%
Ultima Online 70%
Asheron’s Call 70%
Dark Age of Camelot 55%
Anarchy Online 55%

L’usure entre le premier MMO et le deuxième est très nette. Une explication partielle réside dans le fait que tous les joueurs, consciemment ou non, ont tendance à juger le deuxième univers virtuel qu’il découvre à la lumière du premier. Il reste toujours la magie de la découverte d’un univers persistant pour qui n’a encore jamais joué à un MMORPG.

Depuis, la tendance est nettement confirmée par d’autres statistiques qui indique la proportion des joueurs prêts à se consacrer à un univers virtuel : d’environ 85% au départ (85% des joueurs acceptent de s’investir dans le level up de leur personnage lorsque c’est leur premier MMO), le pourcentage décline vers 35-40% pour le deuxième puis aux alentours de 20% pour le troisième univers virtuel.

L’usure est-elle liée uniquement au caractère fastidieux du level up ? Pas uniquement, sans doute y a-t-il aussi la promesse non tenue d’un univers réellement dynamique qui déçoit les joueurs. Mais il n’est plus permis de douter de l’effet nocif d’un level up déplaisant sur le degré de patience des consommateurs.

La pression se fait d’ailleurs de plus en plus forte sur les contraintes liées au level up, notamment lorsque la création de rerolls accapare une part croissante du temps de jeu. Les joueurs sont peu enthousiastes à l’idée de devoir accomplir à nouveau toute la montée en niveau… Wolfshead se fait l’écho de la problématique dans un article sur son blog, More Pressure to Remove Leveling for MMO’s.

Reflet d’une volonté d’abaisser la difficulté du level up, WoW a multiplié les initiatives en ce sens : expérience requise entre le niveau 20 et le niveau 60 diminuée, possibilité d’inviter un ami pour le faire bénéficier d’une progression plus aisée, classe du chevalier de la mort qui débute au niveau 55, etc…

La réaction face au malaise

C’est que les développeurs ne sont pas aveugles au point de ne pas sentir le malaise. Outre un abaissement général du volume horaire nécessaire pour monter un personnage, dont l’incidence n’est cependant que sur le plan quantitatif et non qualitatif, certaines voies sont explorées :

- Rendre l’action associée aux quêtes plus dynamique : Blizzard en donne l’exemple avec Burning Crusade et ses quêtes de “bombardement” à dos de créature volante, avec Wrath of the Lich King et les machines de guerre.

Critique : la tentative de rompre avec la monotonie des quêtes traditionnelles est louable, mais en l’absence d’une véritable percée conceptuelle, le résultat est limité.

- Recourir au phasing : le procédé du phasing consiste à faire vivre au joueur une version du monde virtuel différente de celle à laquelle les autres joueurs sont confrontés. De nombreux exemples sont là aussi disponibles dans Wrath of the Lich King, à commencer par la zone de départ des chevaliers de la mort, la nouvelle classe inédite de la seconde extension de WoW.

Phasing dans WoLK

Tom Chilton, un des game designers de WoW, précise : “what we do is we have different world states, and depending on what quests you’ve completed, it changes what world state you’re seeing.” (“Ce que nous faisons c’est que nous avons différentes versions du monde et en fonction des quêtes que vous avez accomplies, vous verrez le monde évoluer vers un autre état”).

L’atout principal du phasing est en effet de permettre au joueur d’avoir une influence sur le monde environnant à travers l’issue de ses quêtes, surmontant ainsi un reproche majeur adressé au caractère inepte du level up. Enfin, les actions du joueur ont un impact sur l’univers virtuel !

Critique : concept séduisant, bien commode pour les développeurs sur un plan technique, le phasing autorise aussi toutes les audaces en matière de “quest design”. Cependant, quel plaisir, quelle fierté y a-t-il pour le joueur à pouvoir modifier le monde si les autres joueurs ne sont pas les témoins de cette transformation ?

Plus grave encore, le phasing n’est-il pas la parfaite contradiction du caractère “massivement multijoueurs” d’un MMO ? Dit plus brutalement, un MMO avec du phasing est-il encore un MMO puisque le joueur se retrouve tout seul ? Faut-il s’étonner de voir Tom Chilton nous vanter les mérites du phasing, lui qui fût l’un des ardents promoteurs du système des arènes dans WoW ?

Alors certes, le phasing est susceptible d’offrir une expérience de jeu originale à travers quelques quêtes mémorables. Mais son emploi excessif est rédhibitoire et nuit gravement à l’immersion du joueur. Age of Conan est évocateur à cet égard. L’emploi des mécanismes d’instanciation y est visible dès le tout début de la progression, sur l’île de Tortage. Hélas, il a tendance à trop souvent se répéter par la suite, jusqu’à figurer parmi les critiques du titre de Funcom alors qu’il était censé en constituer un des points forts.

Tortage dans Age of Conan

Jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Pour des motifs que nous avions déjà évoqué (but didactique, identification du joueur à son avatar), se débarrasser purement et simplement du principe du level up est difficilement envisageable. Si la nécessité d’un changement significatif ne fait aucun doute, il nous faut jeter l’eau du bain… sans jeter le bébé avec.

L’approche par les quêtes s’est généralisée dans les MMORPG. Le “quest-driven MMO” offre l’avantage par rapport au “farming” primitif de pouvoir orienter et encadrer la progression du joueur. Pour autant, la nature des tâches effectuées demeure très répétitive. WoW a incarné cette évolution à merveille. Son système de quête qui était plutôt vu au début comme un progrès par rapport aux réalisations antérieures, montre désormais ses limites.

Est-il possible d’améliorer les quêtes ? Nous y répondrons plus en détail dans un article séparé. Mais à ce qu’il semble, l’amélioration du système de quêtes permet surtout de s’attaquer aux symptômes, davantage qu’aux causes. Il faut donc envisager une approche plus radicale qui touche aux mécanismes fondamentaux des MMO sans contrevenir à la notion de progression du personnage, toujours essentielle.

Nous ne citerons que quelques pistes de réflexion – toutes mériteraient des développements :

- Réduire l’écart entre les joueurs de haut niveau et ceux de bas niveau : l’écart entre les niveaux est nécessaire, mais pourquoi faut-il qu’un joueur de niveau 40 par exemple soit invincible face à deux joueurs de niveau 30 ? Et si 4 ou 5 joueurs de niveau 15 pouvaient avoir une chance face à un niveau 40 ? Un jeu plus équilibré diminue la pression sur le level up, rend celui-ci toujours nécessaire mais sans le transformer en une contrainte incontournable pour pouvoir profiter du jeu.

- Prévoir des activités auxquelles les joueurs peuvent participer avant le niveau maximum : si le PvP ne se prête pas idéalement à ce concept (la différence de niveau aura toujours son effet même si nous pouvons la réduire), d’autres activités telles que l’artisanat, le commerce, la diplomatie, la politique sont très accessibles. Pourquoi ériger comme un dogme qu’il faudrait nécessairement être de niveau maximum pour y participer ?

- Multiplier les alternatives au système des quêtes pour gagner de l’expérience : c’est la continuation logique de l’idée précédente. Puisque les joueurs peuvent participer à toutes les activités du jeu, pourquoi ne pas profiter de celles-ci pour accorder des gains d’expérience ?

- Modifier la géographie de l’univers de jeu : faire des zones qui ne sont pas destinées au level up conventionnel (des monstres éparpillés que les différentes quêtes donnent l’ordre d’aller tuer…), mais qui permettent de participer aux activités multiples pour gagner de l’expérience en même temps. Au passage, l’univers virtuel ne pourra que gagner en intérêt.

Exemple : vous participez à la construction d’une ville. Pour cela, vous faites de la diplomatie pour obtenir le droit d’exploiter la région, vous collectez des matières premières, vous pratiquez le commerce et l’artisanat pour obtenir les ressources nécessaires à la construction des bâtiments. Une fois les premiers bâtiments sortis de terre, vous recrutez des PNJ, orientez la gestion de la ville et commencez à participer à la politique locale. Si vous préférez tuer des monstres, libre à vous… vous avez le choix !

L’exemple qui précède est naturellement très ambitieux. Pourtant, n’est-il pas le rêve inassouvi de la plupart des amateurs ou passionnés de MMO ?

L’avenir du level up

Nous pouvons laisser à la philosophie Shadok le soin de résumer les contradictions actuelles :

Philosophie Shadok appliquée au level up !

Le level up est devenu à ce point consubstantiel aux MMORPG qu’il est au cœur du débat sur le renouveau conceptuel du genre. Nous apportons ici beaucoup de questions et peu de réponses ; le but est au moins de prendre conscience de l’enjeu d’une transformation indispensable du level up pour l’avenir des jeux en ligne massivement multijoueurs.

Dans l’hypothèse d’un bouleversement salutaire, le bébé survivra-t-il à la vidange de son bain ?
Pas si sûr…

Première partie : Level up, l’enfer du devoir (1/2)

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